Par Philippe Close, Karim Ibourki, Eric Mercenier, Jean Spinette
et Jérémie Tojerow, élus et militants PS, anciens Présidents et Vice-Président
du Cercle du Libre examen de l’ULB.
Publié dans l'Echo le 11 février 2015.
Depuis les attentats de Paris, il est de bon ton de faire le
procès de la gauche, et en particulier du PS, pour son prétendu communautarisme
qui l'amènerait à sacrifier les valeurs de la laïcité sur l'autel de
l'électoralisme à destination des
citoyens belges de confession musulmane.
En politique, les faits ultimes sont les votes
parlementaires, le choix des lois qui organisent la société. En 26 ans de participation à des coalitions
gouvernementales, quelle législation témoignant de ces graves dérives le PS
aurait-il votée ou initiée sous la prétendue pression des « revendications »
religieuses de son électorat arabo-musulman ?
A Molenbeek ou à Namur, quel dangereux règlement communal
les nouvelles majorités en place (MR-Cdh-Ecolo) ont elles dû défaire, car
frappé du sceau de cette infamie ?
Durant ces dernières décennies, le PS a porté au parlement
tous les combats visant à émanciper l’individu de l’emprise des morales
religieuses, en lui garantissant l’égalité et le droit de poser librement ses choix de vie : de la loi sur la
dépénalisation de l’avortement, au début des années nonante, jusqu’à
l’extension de l’euthanasie pour les mineurs, début 2014.
Contrairement à certains partis confondant l'ouverture
d'espaces de liberté dans la société et liberté de ne pas choisir au parlement,
jamais le PS n’a fait de ces combats un engagement « à la carte » : il est en
effet le seul parti francophone à avoir adopté toutes ces législations à
l'unanimité. Sans le PS, ces lois
n'auraient pas vu le jour.
La loi dépénalisant l’avortement : adoptée à l’unanimité des
parlementaires socialistes. Sept sénateurs libéraux s’y opposèrent.
La loi sur l’euthanasie : adoptée à l’unanimité des
parlementaires PS. De nombreux élus MR votèrent "non". Et un, Alain
Destexhe, s’abstint.
La loi sur le mariage pour les couples de même sexe :
adoptée à l’unanimité des parlementaires PS. Au Sénat, 5 élus MR s’y
opposèrent, et seul un (FDF…) vota pour. A la Chambre, vote partagé du MR, huit
pour, huit contre.
La loi ouvrant le droit à l’adoption pour les couples de
même sexe. Le vote fut très serré au Sénat : 34 voix pour, 33 contre, 2
absentions...Adoptée à l’unanimité des sénateurs PS. Tous les sénateurs MR
optèrent pour le « non » !
Au sein des députés MR, 5 voix pour, 2 absentions et 18 voix
contre, parmi lesquelles le Premier ministre C. Michel, la Ministre M-C.
Marghem, ou encore le Président du FDF O. Maingain. Au PS, 24 votèrent « oui »
et on releva une abstention, celle d’un député qui quitta bientôt le PS.
La loi élargissant l’euthanasie à certains mineurs : adoptée
à une encablure du scrutin du 25 mai par tous les parlementaires PS, dont
Fatiha S., Ahmed L., Hassan B., ou encore Mohammed J. Au contraire par exemple
des sénateurs MR Gérard D. ou Armand D.
Qu’il aurait pourtant été aisé d’autoriser, à l’instar du
MR, le « vote à la carte» sur ces questions, permettant aux uns et aux autres
de faire campagne avec un discours à géométrie variable selon les publics
visés.
Suivant la consigne du chef de groupe MR à la Chambre
d’alors : « elle (la faculté du « vote à la carte ») est intimement liée à la
conception que l'on se fait de son propre degré d'autonomie, par rapport
notamment à d'éventuelles transcendances, respectables, que chacun peut avoir.
»
En l’espèce, cela aurait été faire œuvre de…
communautarisme.
Le combat du PS pour l’adoption de ces législations
laïques a été mené parallèlement à celui
contre le racisme et l’antisémitisme.
C’est un socialiste qui fut à l’initiative de la loi
réprimant le racisme et l'antisémitisme, de même que de la loi réprimant le
négationnisme du génocide des juifs. Comme il fallut attendre l’accession d’E.
Di Rupo au 16 rue de Loi pour que l’Etat belge reconnaisse officiellement sa
responsabilité dans la déportation des juifs de Belgique.
Autre engagement laïc fondamental du PS : l'égalité des
femmes et des hommes. Des ministres
socialistes sont à l'origine de la création de l'Institut pour l'Egalité des
femmes et des hommes, de la loi fédérale contre la discrimination entre les
femmes et les hommes, des dispositions fédérales relatives au
gendermainstreaming.
Concomitamment aussi, le PS s’est ouvert ces dernières
décennies, plus que tout autre parti, aux citoyens belges d’origine
arabo-musulmane: ministres, parlementaires, bourgmestre et échevins.
Mener tous ces combats de concert, c’est promouvoir la
laïcité dans ce qu’elle a de plus authentique: rassembler des individus de
diverses origines et identités culturelles autour d’un socle de droits et
libertés, affranchi de toute contrainte religieuse.
Difficile dès lors de ne pas envisager dans l’usage
récurrent des éléments de langage relatifs au prétendu communautarisme du PS le
choix d’une stratégie politique bien précise, éculée et pourtant bien peu
questionnée.
Les crimes de Paris, les perquisitions menées en Belgique et
la crainte de nouveaux attentats ont décuplé les peurs, angoisses et
questionnements légitimes d’une part importante de la population. Et exacerbé
certaines fractures et clivages.
Dans ce contexte, accuser de dérives communautaristes le PS
vise à signifier en réalité à certains segments de l’opinion en termes à peine
voilés qu’il est le parti des musulmans ; le parti de l’étranger.
Cette stratégie de communication s’appuie bien entendu sur
la force normative de « l’image » : contrastant avec celui du PS, le MR offre
un visage désespérément monochrome, à l’instar par exemple de son groupe de 20 députés à la Chambre ou de sa
délégation de 7 ministres. Au passage, si un parti peine « à rassembler la diversité
de la population belge autour de valeurs communes », ne serait-ce pas plutôt
celui-là ?
Cette stratégie est peut-être intéressante sur le plan
strictement électoral, mais une impasse mortifère certaine pour nos sociétés.
La société belge restera riche et complexe de sa diversité.
Il est là le choix de l’angélisme et de la cécité: penser
qu’attiser ces clivages rendra notre
société plus sûre, cohésive et soudée autour de valeurs partagées.
Face à ceux qui veulent exacerber les tensions, en jouant
sur les peurs et ressentiments, le PS fait le choix du chemin le plus
difficile, même en ces temps mouvementés, fidèle à ses valeurs et sa vocation.
Le choix de réduire les fractures, et de renforcer la
cohésion sociale et citoyenne.
Le choix d’organiser la synthèse entre la lutte sans
faiblesse contre le fanatisme religieux, le combat sans trembler contre le
racisme l’antisémitisme et
l’islamophobie, la promotion de la laïcité, et l’extension des droits et libertés
individuelles.