vendredi 19 septembre 2014

Un voyage sans retour pour le MR?

Publié dans l'Echo le 18 septembre 2014
 
En quelques semaines seulement, un nombre impressionnant des canons habituels de la vie politique belge a volé en éclats de manière totalement inattendue: rupture de la famille sociale-chrétienne, participation de la N-VA au gouvernement fédéral, compositions asymétriques des gouvernements fédéral et francophone, présence d’un seul parti francophone dans le futur gouvernement fédéral, représentation ultra-minoritaire des Wallons et Bruxellois etc.

Interrogé à l’entame des négociations, le 18 août dernier, sur les risques suscités par ces ruptures inédites, Didier Reynders se fendait d’une mâle déclaration: "Le MR est en position de force à la table des négociations" 1. Deux semaines plus tard, le Ministre des affaires étrangères voyait pourtant le commissariat européen promis lui échapper.

« En position de force » ?

C’est qu’en réalité, le MR n’est pas en position de force, bien au contraire. Des quatre acteurs autour de la table, il est le seul contraint de justifier devant l’électeur le parjure de l’engagement phare de sa campagne: "si on a la main, jamais avec la N-VA".

Il a été le seul des quatre partis contraint de franchir le Rubicon, en acceptant de participer comme seul parti francophone à une formule de coalition aussi inédite que déséquilibrée sur le plan linguistique.
Il est par conséquent le seul des quatre partis à en supporter les risques majeurs. Le seul contraint d’investir toutes ses billes dans la démarche. Le dernier donc, en principe, à pouvoir quitter l’entreprise avant son dénouement, au risque de perdre toute sa mise.

Difficulté supplémentaire, pour "gérer" ces risques, le MR est associé à des partenaires de gouvernement offrant tout sauf des gages de stabilité. La N-VA rappelle à tout va (Peumans, Bourgeois, Defoort) que son objectif n’a pas varié: "Le confédéralisme s’imposera en cours de route".
Personne ne pense sérieusement qu’elle voudra démontrer que la Belgique peut être gouvernée à droite de manière efficace à partir du niveau fédéral, faisant sienne l’adage qu’on "ne change pas une équipe qui gagne", et qu’elle rangera son nationalisme au placard lors de prochaines échéances.

Le VLD sera en concurrence féroce avec la N-VA pour emporter le titre de "meilleur et seul vrai parti flamand de droite" au sein de la coalition. Il reste aussi le parti qui a provoqué la pagaille en 2010, levier de la chute du gouvernement Leterme, de la victoire de la N-VA et de la crise de 541 jours.

Reste le CD & V, a priori "le" loyal et stable partenaire du MR. Mais pour le CD & V, le MR reste avant tout une simple variable d’ajustement, comme l’ont durement éprouvé les dirigeants libéraux. Le CD & V fit ainsi le choix de s’allier partout avec la N-VA, alors que selon les déclarations de ses dirigeants, le MR préconisait la reconduction de la "tripartite", sortie renforcée par le scrutin, singulièrement en Flandre. L’épisode de la désignation du commissaire européen a plus avant égratigné la solidité du prétendu "axe" CD & V-MR. Une nouvelle fois déstabilisé, le MR et son chef de file se sont vus imposer un remodelage des termes du contrat.

Ceux qui prétendent que la parité linguistique et la règle du consensus au sein du Conseil des Ministres offrent au MR une position forte, en lui permettant de "faire de chaque question une question de gouvernement", confondent science juridique et science politique.
À vrai dire, c’est exactement l’inverse: c’est des risques politiques majeurs pris par le MR virage à 180° par rapport à l’engagement de former un gouvernement sans la N-VA, architecte de la coalition la moins francophone de l’histoire de Belgique, présence dans le seul gouvernement fédéral etc. que découle sa situation d’extrême faiblesse au sein de la coalition "kamikaze". Et c’est précisément cette posture d’extrême faiblesse politique qui rend quasi inopérants les mécanismes juridiques évoqués, notamment ce que l’on a improprement qualifié de "droit de veto".

Survie du gouvernement

La raison en est facile à comprendre: si le MR devait provoquer la chute du gouvernement, il ferait la démonstration de l’échec de sa propre stratégie. Toute la rhétorique mobilisée pour justifier son reniement et accepter de monter dans un gouvernement si déséquilibré s’effondrerait.

Le MR est donc bien le dernier des quatre partis qui excipera sans trop de risque son "droit de veto" en vue de "faire de chaque question une question de gouvernement", car toute menace sur la survie du gouvernement lui sera hautement préjudiciable.
Aussi, à la fois seul parti du gouvernement et seul parti francophone à en supporter les "vices" originels, est-il condamné à la réussite de l’entreprise: c’est bien un "voyage sans retour".
Par ailleurs, à chaque question gouvernementale pourvue d’une dimension "communautaire", les libéraux auront la tentation de l’occulter.
Ce paramètre influera sur la dynamique de négociation permanente qui est le lot des gouvernements de coalition. Cette donne est parfaitement intégrée par les trois partis flamands de la coalition.

Cet engrenage infernal place le MR dans une situation assimilable à celle du "joueur" qui estime avoir déjà trop misé pour s’extraire de la table et limiter les pertes.
Quitter la table de jeux avant la fin de la partie reviendrait, pense-t-il, à perdre définitivement sa très grosse mise de départ.
Alors comme nombre de joueurs invétérés, il reste accroché à cet espoir, qu’à force de doubler chaque fois les mises et de croire en son étoile, le jeu tournera…

 (1) JT RTL-TVI 18 août 2014, www.lecho.be/reynders

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