lundi 1 septembre 2014

Kris Peeters, Premier ministre? Un choix inédit et surprenant!

Publié dans L'Echo le 27 août 2014

Depuis plusieurs semaines, le nom de notre futur Premier ministre, Kris Peeters (CD&V), ne fait plus de doutes. Il est remarquable que ce choix ait été si peu questionné. Il revêt pourtant un caractère inédit au regard des canons habituels de la vie politique belge.
En règle générale, le Premier ministre appartient tantôt au plus grand parti du gouvernement, tantôt au plus grand parti de la première famille politique qui le compose (souvent, ces deux situations se recouvrent). Depuis les élections de 1950, 36 des 38 exécutifs nationaux répondaient à ce canon. Et les deux exceptions n’en sont pas véritablement vu leur durée très limitée (cinq mois au total).

Depuis 1978 et la scission des partis de gouvernement, ce canon est encore plus "pur": sur les 19 gouvernements qui se sont succédé, chaque Premier ministre a émané des rangs du plus grand parti du gouvernement, à l’exception du cas particulier du gouvernement intérimaire Verhofstadt III. Dans 13 des 19 cas, il provenait également de la plus grande famille politique.

Un choix qui surprend

Le statut de première famille politique reste en effet régulièrement invoqué pour légitimer le choix du Premier ministre. On peut aisément le comprendre vu notre structure fédérale ainsi que le dédoublement des partis sur le plan linguistique. Le choix d’un Premier ministre issu du CD&V a donc de quoi surprendre.

Avec 18 sièges, alors que la N-VA et le MR en comptent respectivement 33 et 20, le CD&V est loin d’être le plus grand parti de la coalition. En termes de "famille politique", le CD&V n’est pas mieux loti. La première famille politique est la famille libérale, avec 34 sièges. Privés de partenaire côté francophone, N-VA et CD&V suivent avec 33 et 18 sièges.

Pour la première fois depuis 1950, le Premier ministre n’appartiendra par conséquent ni au plus grand parti, ni à la première famille politique de la coalition.

Et en l’absence du cdH, son Premier ministre sera aussi pour la première fois privé de l’appui des deux ailes linguistiques de sa famille politique.

Certes, il est déjà arrivé qu’une figure politique accède à la tête d’un exécutif par la grâce d’un véritable plébiscite personnel, malgré le résultat plus modeste de sa formation. Mais ce n’est pas le cas du Ministre-Président flamand sortant. Battu par Liesbeth Homans (N-VA), le taux de pénétration de Peeters ne le classe pas davantage parmi les succès personnels: avec 12,87%, il se situe loin derrière ceux de B. De Wever (27,56%), E. Di Rupo (24,64%), P. Magnette (22,12%), B. Lutgen (21,41%), M. De Block (18,75%), P. Furlan (18,43%) ou R. Demotte (14,96%), mais aussi sa coreligionnaire H. Crevits (14,07%).

Enfin, on ne peut même pas venir au secours du soldat Peeters en faisant prévaloir le caractère central du CD&V parmi les partis de la coalition. En effet, l’aile droite du CD&V occupera le flanc le plus à gauche du gouvernement probablement le plus à droite de notre époque contemporaine.

Alors, au vu de ces ruptures inédites, de quoi le Premier ministre Kris Peeters peut-il bien être le nom? Sa désignation ne procédera assurément pas de la logique dite "fédérale", décrite comme l’effacement de la prégnance des clivages linguistiques et régionaux sur les clivages socio-économiques traditionnels.

Logique confédérale

Le prétendu triomphe de cette "maturité fédérale" fut pourtant largement mobilisé par les défenseurs du futur gouvernement pour justifier voire saluer son déséquilibre linguistique inédit. Or, l’application de cette logique aurait dû précisément conduire, au contraire, à mettre en œuvre les canons habituels qui régissent le choix du Premier ministre.

En l’absence de lignes de fractures linguistiques, il aurait été parfaitement naturel que le Premier ministre émane de la première famille politique du gouvernement, la famille libérale, et du premier parti en son sein, le MR. D’autant que le MR ne manque pas de candidats dotés de l’ambition nécessaire, de l’envergure utile, d’une grande expérience fédérale, ou de tous ces éléments à la fois.

Que l’aile flamande de la famille libérale fournisse le chef de gouvernement aurait également pu être un témoignage de cette maturité fédérale retrouvée.

Enfin, le "nouvel âge de notre fédéralisme" aurait même pu logiquement mener au "16" le président du premier parti de Belgique, la N-VA. Bref, que le Premier ministre eût été issu de trois des quatre partis de la coalition, et l’explication "fédérale" aurait pu s’en trouver validée. Mais il est venu des rangs du 4e….

Plutôt que d’y voir le signe d’une quelconque maturité fédérale, les raisons du choix de notre futur Premier ministre ne trouvent-elles pas au contraire leur origine dans l’application d’une forme de logique "confédérale"?

En d’autres termes, le choix de Kris Peeters n’est-il pas avant tout le résultat des arbitrages qui ont conduit à la constitution de l’exécutif flamand?

Le grain de sable cdH

Formulons cette hypothèse. Seul véritable parti pivot au niveau flamand, le CD&V choisit la N-VA comme unique partenaire du futur gouvernement flamand, moyennant ce partage des rôles: à la N-VA la ministre-présidence, au CD&V le Premier ministre. On comprendra alors que la formule privilégiée au fédéral par la N-VA et surtout le CD&V fut de s’associer au MR et au cdH. Formule jackpot pour le CD&V: poste de Premier, portefeuilles ministériels à partager entre deux et non trois partis flamands, position plus centrale au sein de l’exécutif, et seule famille politique réunie au sein du gouvernement. Mais vint le grain de sable du cdH…

C’est encore la logique confédérale qui nous permet d’offrir une explication convaincante au dénouement final. En exigeant l’entrée de son parti au gouvernement flamand comme préalable à sa participation au fédéral, la présidente de l’Open VLD s’est vue contrainte d’adhérer au pacte CD&V/N-VA assurant à Kris Peeters le 16 rue de la Loi.

Victime de la logique confédérale quant au choix du Premier ministre, restait au MR et à ses avocats à invoquer la logique… fédérale pour justifier auprès de l’opinion publique francophone son parjure de campagne et sa participation au gouvernement le moins francophone de notre histoire contemporaine.

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